lundi 22 septembre 2014

Exposition internationale de 1937 à Paris... par J.H. ROSNY Ainé.

p.145 à 147 - catalogue Officiel de l'Exposition internationale des Arts et des Techniques dans la Vie Moderne

HIER ET AUJOURD’HUI


En parcourant l'Exposition, nous rêvons devant les mystères des découvertes scientifiques appliquées, ces machines énormes et en même temps si subtiles, les industries chimiques, physiques ou électrochimiques, le monde charmant des couleurs, les étonnants produits synthétiques, les matières plastiques, etc.


Là se condense une part de l'œuvre invraisemblable réalisée par l’homme depuis un siècle, que certes les autres siècles ont préparée, mais qui les dépasse démesurément. A côté de cette œuvre géante, voici son application sociale, ce que l'humanité s’efforce de faire pour la femme, pour l'enfant, pour la famille, et pour la coopération, l’assurance, l'assistance, la sécurité, l'hygiène, d’un mot tout ce qui concourt à la.santé morale et physique, tout ce qui peut combattre la misère et cette
terrible crainte des lendemains qui a fait tant de malheureux depuis les origines de l’homme !


Demain, nos frères humains seront protégés leur vie durant par leurs semblables; ils recevront le juste salaire de leur peine; ils participeront à tout le confort, voire à tous les luxes. Faibles ou forts, malades ou bien portants, ils auront pour garant toute la société, aidée par les forces fabuleuses que la science et sa fille l'industrie mettront à leur disposition. Et dire que cette même humanité s'entre tue sauvagement, férocement, à deux pas de nous !


Avez-vous parfois imaginé la vie d’un jeune homme ou d'un jeune ménage, jouissant d'une modeste aisance, dans des temps encore proches de nous, en 1830 par exemple, époque dont nous sommes plus loin, matériellement, qu’on ne 1'était alors du temps des Romains et des Grecs.


Notre jeune ménage se chauffait au bois : par les temps rigoureux on gelait d’un côté et on rôtissait de l'autre. Si l'on voulait de l'eau, il fallait aller la prendre à la fontaine ou la faire monter par des porteurs, à raison de deux sous le seau (un franc d'aujourd’hui); on voyageait en diligence et on mettait trois ou quatre jours pour atteindre Marseille; de rares omnibus transportaient le vulgum pecus par la ville ou bien, au grand dam du budget, on se payait des fiacres. Le voyage par mer était une extraordinaire aventure, il fallait des semaines pour atteindre l'Amérique. Il n’y avait pas d’ascenseur, les Parisiens grimpaient plusieurs fois par jour, trois, quatre, cinq étages (un
véritable entraînement à l’ascensionisme); il n'y avait pas encore en France de chemin de fer ni de télégraphe électrique.


Cent ans plus tard, l'humanité a réalisé d'innombrables miracles. Si notre jeune homme de 1830 pouvait revivre, il habiterait un petit appartement chauffé par des radiateurs; il lui suffirait d’ouvrir un robinet pour avoir l’eau froide ou chaude à volonté, d'appuyer sur un bouton pour allumer sa
lampe électrique : « fiat lux ». Son téléphone lui permet de communiquer avec tout Paris et la province : un appel et voici qu’il entend la voix d’un ami ou d’un parent; son phonographe lui jouera des airs qu’il aime; il y écoutera les voix des grands chanteurs et des grandes chanteuses, même après leur mort; sa radio ira plus loin encore, grâce à elle; de tous les pays, de toutes les grandes villes, lui arrive des concerts, des opéras, des opérettes, des bruits de foules, des chants, des récitations de poèmes ou de contes. De grands orateurs, des ministres, le Président de la République, des rois, des hommes célèbres de toute farine, lui parlent; il assiste, par l’ouïe, à des assemblées, a des cérémonies politiques, à des fêtes.


Veut-il, de plus, voir des scènes mondiales? Il n’a qu’à sortir une heure de chez lui; au cinéma, il assiste à des revues de troupes, à des rassemblements populaires, à des matches de boxe, de football, de tennis, d’automobiles, de bicyclettes, il verra le célèbre Hitler, discourant devant une foule immense, l’illustre Mussolini haranguant ses milices, M. Torrès exhortant le peuple à l'ordre et à la discipline. Notre jeune homme, à son gré, communique avec le monde entier. Il voyage avec une rapidité fantastique, soit par le chemin de fer, déjà vieux jeu, soit en auto, ou en avion; il pourrait, mais ce n’est pas très amusant, voyager en sous-marin; une automobile ne lui coûtera pas très cher et lui permettra d’atteindre en une matinée le centre de, la France, en une journée le rivage de la Méditerranée. Il vit, cet heureux jeune homme, dans un monde enchanté et chaque jour les prodiges s’accroissent dont il prendra sa part. Avec peu d’argent relativement, il jouit de luxes qui dépassent ceux des princes d’autrefois. Songez qu’il y a quelques siècles, les rois prenaient les aliments avec leur main, à l’instar des cheikhs arabes qui n’avaient pour s’éclairer que des chandelles.


Aujourd'hui un pauvre homme qui dîne dans un restaurant miteux, pour six ou sept francs, jouit de la lumière électrique, d’une serviette; on lui change ses assiettes pour chaque plat, alors que jadis un homme de sa condition eût puisé dans un seul plat, avec sa famille, à la lueur d’un ou deux misérables lumignons et eût ignoré nappes et serviettes.


Sommes-nous plus heureux que nos ancêtres? Nous devrions l'être et sans doute nos neveux le seront, mais pareils aux enfants gâtés, que la profusion des friandises et des jouets empêchent d'en jouir, nous sommes tellement habitués aux miracles que nous ne nous apercevons même plus de ce qui devrait nous faire bayer d’étonnement et d’admiration.


Nous pestons contre la moindre imperfection de ces merveilles. Au plus léger accroc, ce sont des jérémiades ; pour un retard de quelques minutes, nous faisons plus de plainte que nos ancêtres pour des heures d'attente. Quant à nos désirs, ils n'ont plus de bornes. Le jouvenceau qui était jadis ravi, disons d'une bicyclette (c'était une grande nouveauté, il y a un demi-siècle) aujourd’hui attend qu'on lui baille une automobile. Les adolescents riches réclament même un avion. Nous vivons dans une agitation frénétique; atteints de bougeotte, nous ne savons plus tenir en place; la flânerie, cette source délicieuse de rêves, n'est plus pratiquée que par quelques rétrogrades. En somme, il faut bien avouer que les miracles de la science et de l'industrie n'ont pas encore sensiblement augmenté la somme du bonheur. Notre éducation est à refaire. Il nous faut apprendre à jouir de la richesse et de la beauté qui nous sont offertes par la science et par l'industrie. L'optimisme source de toute joie, nous invite à faire un meilleur usage de notre puissance pour mériter le plaisir de vivre. Le temps s'en chargera.

].-H. ROSNY AINÉ,
de l'Académie Goncourt.


J.-H. Rosny aîné, pseudonyme de Joseph Henri Honoré Boex, né le 17 février 1856 à Bruxelles et mort le 15 février 1940 à Paris, est un écrivain belge, un des grands fondateurs de la science-fiction moderne.



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